Le haut de gamme chez les constructeurs automobiles français : Partie 2, depuis 1945
Nous avons vu précédemment que les voitures françaises haut de gamme étaient chose courante avant la Seconde Guerre mondiale, même chez un grand constructeur comme Renault, dont la gamme s’étendait jusqu’en 1939 de modèles de 6 CV à 31 CV, abritant des mécaniques allant de 4 cylindres 1,0 L à 8 cylindres 5,4 L. Cependant, les difficultés furent nombreuses au cours des années 1930 en raison de la crise économique ce qui a entraîné les premières disparitions de modèles haut de gamme et d’une marque prestigieuse telle que Hispano-Suiza. Malheureusement, la guerre n’a rien arrangé et a même aggravé la situation de l’industrie automobile française haut de gamme.
Les Conséquences de la Crise Économique des Années 1930
Si pendant les années de crise, une certaine flamboyance était encore de mise, celle-ci se réduit encore plus fortement à partir de 1945 étant donné que la priorité est de reconstruire le pays. Deux évènements majeurs scellent le sort de l’automobile française : la nationalisation de Renault survenue en janvier 1945, une décision plus symbolique que stratégique, et le plan Pons entré en vigueur en janvier 1946, un programme décidé par l’État pour regrouper et spécialiser les constructeurs automobiles ayant pour priorité l’exportation afin de faire rentrer des devises dans le pays. Cette intervention étatique, unique dans le monde occidental, déplût fortement à Citroën, et à son actionnaire Michelin, ardent défenseur de la libre entreprise, et entraîna la disparition de la totalité des marques automobiles françaises de prestige. En outre, ce plan ne fut guère respecté par les différents constructeurs. Il stipulait que Panhard et Simca devaient s’occuper du bas de gamme, qu’à Peugeot et Renault revenaient la charge du milieu de gamme et, qu’enfin, le haut de gamme était pour Citroën. Pourtant les années d’immédiat après-guerre virent le lancement des Renault 4CV et Citroën 2CV (bas de gamme), des Simca Aronde et Panhard Dyna Z (milieu de gamme) et de la Renault Frégate (haut de gamme). En définitive, seul Peugeot respecta le rôle qui lui avait été assigné avec la 203 positionnée en milieu de gamme.
L‘Impact de la Seconde Guerre Mondiale sur l’Industrie Automobile Française
Mais que reste-t-il alors du côté du haut de gamme ? Au salon de Paris d’octobre 1946, le premier d’après-guerre, on trouve encore les marques haut de gamme Bugatti, Delage, Delahaye, Delaunay-Belleville, Hotchkiss, Salmson et Talbot. Notons que les voitures Salmson reçoivent de belles mécaniques à double arbre à cames en tête et que cette marque aurait pu être une parfaite rivale d’Alfa Romeo et de BMW. Parmi les grands constructeurs, seuls Citroën, avec la Traction, en version 11 et 15-Six, et la filiale française de Ford, avec la F-472 à moteur V8, proposent du haut de gamme. L’hécatombe commence alors chez les petits constructeurs français qui disparaissent presque tous en une décennie : Delaunay-Belleville en 1948, suivi par Bugatti, Delage, Delahaye et Hotchkiss en 1953, et par Salmson en 1957. Quant à Talbot, la marque dépose le bilan en mars 1951 puis survit, portée par son actionnaire Tony Lago, jusqu’en 1958, année où elle est rachetée par Simca qui fait disparaître ce nom prestigieux à la fin de l’année 1959.
Pendant cette longue et lente agonie de ces noms jadis glorieux, les grands constructeurs lancent plusieurs nouveautés dans le haut de gamme : la Ford Vedette (V8 2,2 L 12 CV) en octobre 1948, la Renault Frégate (2,0 L 11 CV) en novembre 1950, la seconde génération de Ford Vedette (V8 2,4 L 13 CV) en octobre 1954, qui devient la Simca Vedette dès décembre 1954, et, enfin, la Citroën DS dévoilée en octobre 1955 qui s’impose comme la voiture française haut de gamme d’après-guerre par excellence. Son caractère innovant sur les plans techniques et stylistiques lui assure un large succès qui dépasse les frontières de l’hexagone. Face à la concurrence de la DS, très en avance sur son temps, Renault puis Simca se retirent du segment haut de gamme en arrêtant les Frégate et Vedette, respectivement en 1960 et 1961. Entre 1962 et 1967, Renault diffuse néanmoins la Rambler, une berline d’origine américaine assemblée dans l’usine belge de la Régie en vertu d’un accord conclu avec le constructeur American Motors. Les ventes de cette voiture demeurent cependant confidentielles.
La Disparition des Petits Constructeurs de Prestige
Il nous faut maintenant réserver une mention spéciale à plusieurs petites marques ayant tenté de s’imposer dans le haut, voire le très haut, de gamme après la Seconde Guerre mondiale. La première tentative est portée par Jean Daninos qui crée la marque Facel-Vega en juillet 1954 pour produire des automobiles de luxe, une belle aventure qui se terminera dix ans plus tard en 1964. Entre 1972 et 1975, une autre Jean, Tastevin, lance une berline de prestige, la Monica, tout à fait en mesure de concurrencer les Jaguar XJ. Malheureusement le choc pétrolier de 1973 et la crise économique qui suit, sont fatales à cette tentative. Enfin, en 1984, deux associés passionnés présentent la MVS Ventury, un coupé sportif haut de gamme prévu pour affronter Porsche et Ferrari. La production de la Venturi (avec un i final désormais) débute en 1987 et cessera en 1999 après plusieurs évolutions.
Les Voitures Haut de Gamme en France Après-Guerre
Après cette parenthèse, revenons aux grandes marques françaises. Citroën domine clairement le haut de gamme français durant la décennie 60 mais aussi 70 avec le lancement en 1970 du prestigieux, mais éphémère, coupé SM à moteur Maserati, suivi par celui de la CX en 1974 qui prend la succession de la DS qui disparaît en 1975. Mais les autres constructeurs français sont aussi attirés par le haut de gamme d’autant plus que le pouvoir d’achat des français a fortement augmenté durant la période des Trente Glorieuses. Ainsi, Peugeot et Renault offrent des moyennes très supérieures, intermédiaires entre le milieu et le haut de gamme, telles que les 504 et R16. Simca fait de même avec les Chrysler 160, 180 et 2 Litres à partir de 1970. Puis, en mars 1975, Peugeot et Renault lancent simultanément, au salon de Genève, leurs nouveaux modèles haut de gamme : la 604 et la R30. Les ventes restent modestes pour ces deux voitures pénalisées par un V6 glouton dans une période où l’énergie devient de plus en plus chère et malgré l’ajout, tardif, de variantes turbo diesel. En 1979, Simca devient Talbot, un label prestigieux en sommeil depuis 20 ans, mais les modèles n’ont rien de haut de gamme puisque ce ne sont simplement que des Simca rebaptisées Talbot. Toutefois, en 1980, la marque lance une berline haut de gamme : la Tagora qui s’efface rapidement compte tenu des difficultés que connaît la marque Talbot.
Les Débuts des Années 80 : R25, XM et 605
En 1984, Renault parvient enfin à percer dans le segment haut de gamme avec la R25. De son côté, le groupe PSA prépare la riposte et dévoile en 1989 les Citroën XM et Peugeot 605 qui réalisent de bons débuts commerciaux, des succès très vites interrompus par des problèmes de qualité devenus inacceptables et même rédhibitoires pour la clientèle à ce niveau de gamme. Depuis le haut de gamme français se résume à une succession d’essais, jamais transformés, et de ventes toujours déclinantes dans ce segment. Les dernières voitures haut de gamme françaises ont été la Renault Vel Satis, héritière des R25 puis Safrane, supprimée en 2009, la Peugeot 607, remplaçante de la 605, disparue en 2011, et, enfin, la Citroën C6, successeur de la XM, arrêtée en 2012. La DS9 est à ce jour la toute dernière berline haut de gamme de marque française, bien qu’ayant été produite en Chine, qui s’est vendue en moins de 10 000 exemplaires entre 2020 et 2024, soit un nouvel échec. Automobile française et haut de gamme semblent donc désormais bel et bien appartenir au passé.
A suivre …